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Des bières et des femmes

Éditions Hurtubise

« Cet été, on est devenues des femmes d’affaires. Des femmes à tout faire. Des femmes de bières. Cet été, on s’est donné du lousse. Dans la garnotte. On a fait un gigantesque carré de sable pour les enfants, on a dit oui aux chiens, on a dit non au Wi-Fi. Les gens se sont parlés, ont repris contact, se sont réconciliés. Chacun a comblé un moment de solitude. Je pense. Avec moi pis mes bières. »

Des bières et des femmes, c’est un été dans un resto avec ses hauts faits, ses bons moments et ses anecdotes mémorables. Surtout, c’est l’histoire de Maude, Nath et Meg, trois femmes drôles et attachantes qui gèrent comme elles le peuvent un commerce naissant, avec tout ce qu’il faut de bonne volonté et d’autodérision. Un mariage entre le monde de la restauration et les gens de la ruralité. Mariage dans lequel tout le monde passe un peu au cash.

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Extrait

Je crois qu’à la campagne, l’amour est plus fort.
Mais la mort plus triste. Aussi. 

Aujourd’hui, Léon est mort. Sans rien dire. Sans prévenir. Sans dire adieu. Il ne s’est pas réveillé. Il est juste mort. Mais ça se peut pas. Léon est, était, éternel. Léon est, était, mon ami. Et beaucoup plus. C’est le beau-père de ma grande chum Nath, le père de mon chef cuisinier. L’homme à tout faire, ici et ailleurs. Celui qui boit des bières fortes et qui repart à vélo. Notre Grand Antonio.
Il a passé l’été chez moi, dans ma microbrasserie, une sorte de taverne urbaine rurale, à boire des bières. À boire celle qu’on a nommée À hauteur de femmes. Parce que la bière n’est plus réservée qu’aux hommes, que la 50 pis la Laurentide peuvent maintenant être remplacées par quelque chose qui a du goût, pis qu’on espère que les filles qui servent de la bière sont un peu plus habillées qu’avant. 
Il a passé l’été à manger des hamburgers. À répéter que c’était bon et que personne ne pouvait croire que notre affaire allait autant marcher. Attirer du monde à la campagne pour boire et manger local, c’était quand même un sale défi. Une folie. Une bulle au cerveau.
Aujourd’hui, Léon est mort. En réalité, ça fait quelques jours qu’il ne s’est pas réveillé. Mais aujourd’hui, c’est vrai. C’est vrai, parce que je l’ai vu dans son cercueil. Parce qu’on est allés à l’église où on ne va plus depuis longtemps. Tout le monde était là. Les gens ont défilé au salon funéraire et sont venus à l’église. Une église de campagne bondée de monde qui s’était mis chic pour l’occasion. Tellement chic que j’avais peine à les reconnaître, habituée que je suis de les voir en habits d’agriculteurs, de producteurs de boeufs, de cerfs, de fromages pis de saucisses. Peut-être que c’est un peu pour ça que l’amour est plus fort à la campagne. À cause des habits pas chics. Michel(le), Mario, Jean, les frères Goyette, Frank, le staff de la micro… Même ma chum Nath qui n’aime pas les salons funèbres et les enterrements était là. Faut dire que Léon, c’est son beau-père. Elle n’avait pas vraiment le choix. Le chef est triste. Tout le monde est triste. 
On a fermé la micro et le resto pour l’occasion. On a écrit dans la porte qu’on était trop tristes pour ouvrir. On a juste invité les amis de Léon. Ceux qui ont passé beaucoup de temps ici, à me raconter leur vie, à tisser des liens peu probables. On a fait un méchoui. On a bu des bières et on s’est remémoré l’été. Pis Léon. 

Je suis propriétaire d’une microbrasserie rurale avec mon chum et le Capitaine, qui a toujours les bras croisés et qui n’est jamais content. C’est notre Capitaine Haddock. Il lui ressemble. Une image vaudrait ici une couple de mots. Il a appris à calmer ses envolées, qui sont maintenant intérieures. Il croise les bras, synonyme de « tonnerre de Brest ». Et quand c’est trop, il retourne à son entrepôt. Une chance qu’il est plus souvent là qu’ailleurs. Le Capitaine est dans l’entrepôt, mon chum, dans le bureau et moi, je m’occupe du plancher des vaches. Dans une campagne sans cowboys. Sans loi du plus fort non plus. Sauf peut-être pour les Goyette. Ici, dans ma campagne, les gens s’entraident, s’animent autour de causes communes et du feu qu’on allume par les belles soirées. À la micro. En buvant de la bière À hauteur de femmes.