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Le choix de se taire

Pour contrer le bruit incessant de la machine à opinions
Éditions XYZ

« À une époque où l’infoanxiété causée par la surabondance de nouvelles et d’opinions dans notre univers multiplateforme est de plus en plus manifeste, ne serait-il pas judicieux à l’occasion, pour préserver son hygiène mentale et surtout celle des autres, de réserver son opinion en se demandant si l’expression publique de ce qui pourrait être évoqué autour de la machine à café au bureau - ou pas du tout - contribue réellement à enrichir la conversation. »

Un essai qui en appelle à un peu plus de silence ; non pas le silence qui imposerait la dictature de sa présence, mais bien celui qui permet de penser, de réfléchir, d’écouter, de soupeser. Et de peut-être, ou pas, choisir de se taire.

Avec cet essai de réparation, j’aimerais revaloriser le dialogue intérieur, le recul, la réflexion et la discrétion au profit d’une conversation publique plus intelligible.

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Extrait

La barbe !

Je me sens parfois comme un étranger autant sur mes réseaux sociaux que dans l’univers médiatique traditionnel. Au-delà des opinions d’éditorialistes des différents médias auxquels je souscris, il y a les commentaires de mes ‘ami-e-s’ et abonné-e-s qui s’expriment avec une assurance déconcertante sur une foule de sujets allant de survie de la langue, à la pertinence de manger bio, ou local, pour contribuer à réduire son empreinte carbone, en passant par le look du premier ministre canadien. Début janvier 2020, quelques semaines avant la pandémie, Justin Trudeau est rentré de vacances avec une barbe au visage. On parle ici d’un fait divers qui méritait peut-être un aparté dans un papier sur la rentrée politique du gouvernement fédéral en ce début d’année. Ça aurait suffi. L’humeur des gens qui nous dirigent a de l’importance. On peut y voir un symbole fort de quelque chose. Possible. Peut-être était-ce tout simplement la seule forme de déguisement qui lui restait. Monsieur Trudeau s’est souvent fait reprocher cette propension. Peu importe, la Presse Canadienne nous rappelait que ‘M. Trudeau serait le premier premier ministre à arborer une barbe complète depuis Mackenzie Bowell, qui a dirigé le pays de 1894 à 1896(tu parles d’une affaire!) et évoquait l’idée que ‘cela semble correspondre à l’intention annoncée par M. Trudeau d’être plus discret et plus professionnel dans son deuxième mandat’. On ajoutait ‘le bureau du premier ministre n’a pas immédiatement commenté le sujet’. J’ose croire qu’au bureau du PM on accordait plus d’attention aux soldats canadiens sur le terrain en Iraq qu’aux poils sur le menton du patron. Dans le Globe & Mail, on proposait l’analyse d’un professeur de philosophie de l’université de Toronto sous le titre ‘When is a beard more than a beard? When it’s on Justin Trudeau’s face’ (Quand est-ce qu’une barbe est plus qu’une barbe? Quand elle est sur le visage de Justin Trudeau). L’auteur soulevait plusieurs questions que nous étions nombreux à ne pas nous poser : monsieur Trudeau essaie-t-il d’avoir l’air plus vieux et distingué, ou au contraire plus jeune et en phase avec la mode? Il se lançait ensuite dans un exposé sur la place de la barbe dans l’histoire des civilisations et dans le domaine du sport. Au passage, il citait Marshall McLuhan, ce qui est toujours de bon ton dans un papier sur la puissance de l’image dans les médias. 

La fascination médiatique qu’exerçait la barbe du premier ministre ne détonnait pas dans les rubriques ‘Style de vie’ qui en faisait leurs choux gras : ‘Justin Trudeau à maintenant une barbe et la voici sous plusieurs angles différents’ (Qub – 9 janvier 2020). Dans cette publication, on proposait également un sondage sous le titre Justin : Plus beau avec ou sans la barbe? Pour la petite histoire, 73% des lecteurs et lectrices étaient favorables.

Certains médias traditionnels ont pris la balle au bond : ‘Justin Trudeau arbore une barbe’ (L’actualité – 6 janvier 2020); ‘La barbe de Justin Trudeau ne fait pas l'unanimité’ (Yahoo News – 13 janvier 2020); ‘La barbe populaire chez nos élus’ (Métro – janvier 2020). La nouvelle à même traversée l’atlantique :  ‘La nouvelle barbe de Justin Trudeau fascine le Canada (et Twitter) - Le Premier ministre canadien a fait sensation’ titrait Paris Match Belgique (Parismatch.be – 10 janvier 2020) et ‘Le nouveau look du chef du gouvernement met son pays en émoi’ dans l’Express (30 janvier 2020). Ajoutons à cela les 150 000 messages Twitter où les abonnés se sont exprimés pour ou contre ce sujet capital. Beaucoup de bruit pour rien. J’aimerais pouvoir écrire que l’actualité était à ce point tranquille au début de l’année 2020 pour permettre à ce fait divers de monter en grade dans l’actualité, si ce n’est que les républicains et les démocrates se disputaient au congrès américain sur le processus de destitution du président Trump pour abus de pouvoir, l’armée de l’air iranienne frappait des bases militaires abritant des soldats américains en Iraq et l’Australie était littéralement en feu. Des incendies d’une ampleur sans précédent faisaient disparaître un cinquième des forêts du pays (5,8 millions d'hectares de forêts tempérées ont brûlé en Nouvelle-Galles du Sud et dans l'État de Victoria); sans compter l’épidémie de Covid-19 qui se répandait sur la planète à la vitesse grand V.

On en parle

Garneau présente un tour d'horizon efficace de ce qui nous empêche d'être collectivement bien et réfléchis.
— Le Devoir, 23 mars 2024

Date de parution
14 mars 2024
Nombre de pages
112
Dimensions
12,7 x 20,32 cm (5 x 8 po)
Langue
Français