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Par Yann Martel

Texte original en anglais traduit par Hélène Rioux

Je me suis réveillée soudainement. Je ne sais pas pourquoi ni à quoi je rêvais. Je me suis dressée. Tout était confus. Je ne me souvenais de rien, ni de mon nom, ni de mon âge, ni où j’étais. L’amnésie totale. Je savais que je pensais en français, ça au moins, c’était sûr. Mon identité était liée à la langue française. Et je savais aussi que j’étais une femme. Francophone et femme, c’était le cœur de mon identité. Je me suis souvenue du reste, les accessoires de mon identité, seulement après un bon moment d’hésitation. Ce que je me rappelle le plus clairement de cet état de confusion, c’est le sentiment qui m’est venu après, que tout allait bien. J’ai regardé la chambre autour de moi. Un sentiment de quiétude m’a envahie, profond, si profond, à en perdre conscience. J’étais en train de me rendormir. Je me suis allongée sur le côté, j’ai tiré le drap jusqu’à ma joue, et je suis retournée dans les bras de Morphée, le sourire aux lèvres. Tout allait bien, tout allait bien.

C’est arrivé une nuit particulière. Je me suis levée le lendemain matin, je suis restée debout devant le miroir, nue, à me regarder, et j’ai pensé: «Je suis une Canadienne, je suis une femme… et j’ai le droit de vote.» C’était le jour de mon anniversaire. J’avais à présent dix-huit ans. J’étais une citoyenne à part entière.

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